Orelsan : un rappeur qui ne fait pas l'unanimité

Orelsan : un rappeur qui ne fait pas l'unanimité

Orelsan, qui revient avec un nouvel album très attendu, est au mieux de sa forme à l'aube de la quarantaine. Nous jetons un coup d'œil à l'épopée d'un post-adolescent controversé devenu un artiste respecté.

Ce 9 février 2018 devait être le jour d'une récompense suprême pour Orelsan. Le rappeur originaire de Caen (Normandie) venait de rafler trois trophées aux 33e Victoires de la musique. Sur la scène de la grande salle de La Seine Musicale, sur l'île Seguin à Boulogne-Billancourt, l'artiste de l'année, âgé de 35 ans, n'a pas caché sa joie : "Je veux remercier le public, sans qui je ne serais qu'un mec qui fait de la musique dans sa chambre". Devant leurs écrans plats, une partie du public n'a pourtant pas vu les Victoires d'un très bon œil. Dès le lendemain, les mécontents sont montés aux barricades sur les réseaux sociaux et une pétition a été lancée pour demander la déprogrammation des Trophées. Et le 13 février, Christiane Taubira s'est déclarée horrifiée par les paroles d'Orel-san sur RFI, lorsque le journaliste a cité les paroles de Sale pute, un titre qui avait fait connaître l'artiste dix ans plus tôt et que l'ex-ministre de François Hollande a visiblement découvert sur les ondes.

"Je suis beaucoup plus heureuse que quand j'avais 15 ans".

Flash-back : en 2008, Aurélien Cotentin est un jeune rappeur de 25 ans originaire de Normandie. Il est blanc, appartient à la classe moyenne, se fait appeler Orelsan et vient de faire une entrée fracassante sur Myspace avec un titre volontiers vulgaire qui évoque l'extrême rancœur d'un jeune homme abandonné et trompé par sa fiancée. A l'heure où le meurtre de Marie Trintignant est sur toutes les lèvres et où la société commence à prendre au sérieux les meurtres de femmes, cette pièce provocatrice aux (faux) accents d'appel au viol et au meurtre fait désordre et invite à la réflexion. Sale pute puis le texte très détourné de Saint Valentin (véritable ode à la culture pornographique) ont fait un tabac sur Internet et ont ensuite provoqué un scandale aussi énorme qu'embarrassant. Car du Monde au Figaro, Orelsan est devenu l'ennemi public numéro 1. La sanction a été immédiate : suite aux plaintes de certaines associations, sa tournée a été interrompue et il a perdu son statut d'"intermittent du spectacle". Le Normand pense qu'il est définitivement grillé dans le milieu et est sur le point de tout abandonner.

Sa carrière

PERDU D'AVANCE (LP) Artiste Myspace, Orelsan signe chez Wagram un premier album apprécié par la critique. La résurrection des titres Sale pute et Saint Valentin font

LE CHANT DES SIRÈNES (LP) Deuxième album, porté par l'efficace Plus rien ne m'étonne et La Terre est ronde, qui devient un tube. Orelsan est pris au sérieux.

BLOQUÉS (CANAL +) Avec son complice Gringe, ils jouent dans ce programme court un hommage à leurs années vertes, quand ils étaient des branleurs "bloqués" sur leur canapé.

COMMENT C'EST LOIN (FILM) Dans le sillage de Bloqués, un long métrage de Christophe Offenstein qui raconte la jeunesse de Gringe et Orelsan en Normandie.

LA FÊTE EST FINIE (LP) Un troisième opus, certifié or en trois jours et platine quatre jours plus tard, porté par le single Basique. Le clip du titre Défaite de famille, va tout casser sur YouTube.

MONTRE JAMAIS ÇA À PERSONNE (SÉRIE DOCUMENTAIRE PRIME VIDÉO) Une série documentaire filmée par son frère Clément Cotentin et Christophe Offenstein, qui retrace l'épopée d'Oreslsan à partir d'archives inédites.

2021 : CIVILISATION (LP) Après deux ans de silence et un retour à Caen, il a écrit un nouvel album dont la sortie est prévue le 19 novembre. Les préventes s'arrachent déjà à prix d'or.

Un mariage avec Ahélya ?

"J'aimerais avoir tes défauts, si jamais je peux en trouver/rien n'a changé depuis notre premier 'je t'aime'/sept ans qu'on est ensemble, depuis deux s'maines...". Ces paroles ont été écrites par Paradis. Et elles sont dédiées à sa fiancée, qu'il a rencontrée en 2010. Après avoir vécu un temps près du Canal Saint-Martin à Paris (10e arrondissement), le couple est revenu à Caen en 2020 avec l'intention de se marier. C'est chose faite depuis peu, même si le couple a dû adapter la cérémonie à la crise sanitaire...

Transformé

Un adolescent grassouillet, au crâne rasé et habillé n'importe comment : voilà ce qu'était Orelsan au début de sa carrière. En collaboration avec le réalisateur de clips vidéo David Tomaszewski, le rappeur a décidé de se créer une nouvelle image. Il s'est donc imposé une discipline composée de sport et d'un régime sans sucre, sans graisse, sans alcool et sans féculents... Le rappeur a alors demandé au réalisateur : "Combien de temps va durer ce régime ?", ce à quoi David a répondu : "Bah toute ta vie, à quoi ça sert de grossir à nouveau ?". Aujourd'hui, Orelsan est sec, musclé et plutôt stylé. Simple, basique...

Son clan à Caen

Lorsque la pandémie a éclaté, Orelsan a quitté Paname et est revenu dans la ville où il avait grandi : Caen (14). C'est là que tout a commencé : avec Gringe, le complice de Cergy-Pontoise (95) qui l'a initié au rap. Ablaye, le couteau suisse qui rappe, signe des sons et se déguise en Cupidon ou en lapin dans les clips. Et puis il y a Skread, le beatmaster, le véritable booster du combo. Sans lui, rien n'aurait été possible, tant sa détermination est grande. Enfin, il y a Clément, le petit frère qui s'est mêlé au groupe d'amis de son frère aîné en devenant vidéaste. Aujourd'hui, il est réalisateur de documentaires, après avoir travaillé comme journaliste au service des sports de Canal +.

"Je n'avais plus d'argent et je me demandais si je devais reprendre un travail", se souvenait-il en juillet 2018 dans Le Parisien. Il doit par ailleurs faire face à un autre souci : ses grands-parents paniquent en apprenant au journal télévisé de 20 heures que leur petit-fils risque huit ans de prison. Il sera définitivement acquitté - en 2016. Au même moment, une partie du public et de la presse culturelle s'intéresse au style inédit de ce rappeur phénomène : un flow original porté par une diction traînante, des paroles saisissantes qui, dix ans plus tôt, évoquaient les gilets jaunes et le quotidien morose d'une jeunesse inconnue : celle de la France périphérique. Un véritable contre-pied au son hip-hop actuel. A l'époque, certains voyaient en Orelsan une sorte d'Eminem français. Un "cassos-white trash" nourri au coca-whisky dans des bouteilles de limonade. Un type qu'on collerait avec une PlayStation dans les mains ou devant du porno en streaming avec un parterre dans le museau. Mais c'est plus compliqué que ça ... Car le jeune homme est le fils d'un directeur d'école et d'une enseignante de primaire. Son enfance ne s'est pas déroulée comme celle d'Eminem dans un camping-car, mais plutôt comme celle de Vincent Delerm : selon l'endroit où son père était affecté dans les écoles. Ce n'est pas toujours facile d'être le fils du directeur de l'école. Aurélien ne se pose pas en premier de la classe, mais il n'est pas non plus en échec scolaire. Aîné d'un frère et d'une sœur, il se passionne pour le roller, les mangas, Queen et Eurythmics, puis pour le basket, ce qui le conduit au rap : IAM, NTM, Snoop Dogg deviennent la bande-son du quotidien de cet adolescent au style no life. "Je suis beaucoup plus heureux que lorsque j'avais 15 ans. Aujourd'hui, je sais ce que je veux faire", analysait-il en février 2018 dans les colonnes de L'Express. Après un bac ES (économique et social), il intègre une école de management, plus pour faire un stage aux États-Unis que pour l'amour du business. Les Etats-Unis ne seront pas le Pérou. Nous sommes en 2003 et les Français ne sont pas les bienvenus depuis que Jacques Chirac a refusé de participer à la deuxième guerre du Golfe. Il se heurte à l'hostilité de ses pairs et aux flics qui le prennent en flagrant délit d'ivresse sur la voie publique. Résultat : Orel se terre dans sa chambre aux États-Unis et travaille sur ses textes.

Avnier, Reebok, Umbro, son magasin de confection En 2017, il a signé un accord avec Reebok et a fait la promotion de baskets dans la vidéo de Basique. Orelsan est devenu un artiste estampillé "stylé". Il a également lancé avec un partenaire suisse la ligne de prêt-à-porter Avnier, qu'il a ensuite couplée à Umbro pour une capsule. Le style d'Avnier ? "Le streetwear pour les trentenaires qui sont trop vieux pour s'habiller comme des adolescents", précise-t-il.

"J'ai commencé comme éboueur avec 1200 euros".

De retour à Caen, il retrouve ses potes de longue date : Gringe, Skread et Ablaye. Ensemble, ils décident de se concentrer sur la musique. Parallèlement, le rappeur gagne sa vie grâce à de nombreux petits boulots : "J'ai commencé comme éboueur avec 1 200 euros", expliquait-il à Public en avril 2012. Son frère Clément croit tellement au potentiel de son aîné qu'il décide de filmer ses débuts en mode loser. Vingt ans plus tard, ces images sont devenues un documentaire, actuellement diffusé sur Prime Video : Orelsan, montre jamais ça à personne. Ce film annonce d'ailleurs la sortie d'un quatrième album solo, intitulé Civilisation.

Au fil du temps, Orelsan a affiné son style lourdaud, vendu de nombreux disques, joué à la télévision et au cinéma. Fini le temps du rappeur sulfureux, considéré comme un "danger pour la jeunesse" : il n'est plus discret, mais une superstar incontournable. Tout va bien, la fête est loin d'être finie.

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